L’imagination active selon Jung

L’Imagination active selon Jung : un dialogue vivant avec l’inconscient

Quand Jung rencontre son inconscient

En 1913, Carl Gustav Jung traverse une crise existentielle majeure. Séparé de Freud, il s’ouvre à un monde intérieur d’images et de visions qu’il choisit de ne pas refouler. De cette confrontation naît la méthode de l’imagination active, qu’il expérimente et consigne dans Le Livre Rouge (Liber Novus). Au lieu d’interpréter, Jung se met à écouter ce qui surgit de son inconscient. Ce choix fonde toute sa psychologie : l’inconscient n’est pas un ennemi à dompter, mais un partenaire à rencontrer.

Qu’est-ce que l’imagination active ?

L’imagination active est une méthode de dialogue avec les images de l’inconscient. Elle s’appuie sur une tension créatrice entre deux pôles :

• l’inconscient, qui fait émerger des images spontanées,

• la conscience, qui les accueille et cherche à en comprendre le sens.

Ce n’est ni un rêve éveillé ni une rêverie libre : c’est une méditation vivante, une interaction consciente avec les symboles intérieurs.

La méthode : laisser advenir, puis dialoguer

« J’ai dû m’abandonner à la méditation la plus profonde et laisser advenir en moi ce qui voulait surgir. »

Cette phrase de Jung résume la posture essentielle : le lâcher-prise actif. Il ne s’agit pas de forcer les images, mais de créer un espace intérieur d’accueil.
Le processus suit quatre étapes clés :

1. Se concentrer sur une image, un rêve ou un affect.

2. Laisser venir les images ou figures qui apparaissent.

3. Entrer en dialogue : leur parler, les écouter, les représenter.

4. Intégrer le sens symbolique dans la conscience.

Une voie de transformation psychique

L’imagination active est au service du processus d’individuation : elle relie la conscience au Soi, favorisant l’intégration des contenus refoulés ou opposés. Chaque image rencontrée devient un symbole vivant, une énergie de transformation. Ce travail permet à la psyché de se réorganiser autour d’un centre plus vaste que l’ego : le Soi, principe d’unité intérieure.

L’imagination active en thérapie

De nombreux analystes junguiens utilisent aujourd’hui cette méthode comme outil de rencontre avec les symboles intérieurs. Elle peut se manifester à travers :

• un dialogue écrit avec une figure intérieure.

• un dessin, un collage, une peinture ou une mise en mouvement symbolique : danse, clown, théâtre.

• une écriture spontanée.

Cette pratique requiert un cadre solide et un moi suffisamment ancré. Elle n’est pas recommandée en cas de psychose ou de dissociation sévère.

Les formes d’expression : l’image, le verbe, le geste

Jung encourageait la mise en forme des images intérieures : les peindre, les modeler, les écrire ou les danser. Le but n’est pas esthétique, mais symbolique : donner une réalité extérieure à ce qui vit dans l’inconscient. Cette extériorisation permet à la conscience de participer au processus sans le contrôler et de prévenir toute forme d’intellectualisation ou de mentalisation. Tous les médiums artistiques vont être alors des moyens particulièrement propice afin de mettre en forme et de transcender notre inconscient. C’est passer par le corps ce qui est au départ pur esprit. On a besoin de le matérialiser et de le corporaliser par l’entremise d’une pratique artistique pour que cela fasse sens.

Un art de la présence à soi

L’imagination active est avant tout un art d’écoute intérieure. Elle invite à un dialogue vivant avec l’ombre, les archétypes, le Soi. C’est une pratique d’union des contraires : entre le monde intérieur et la vie consciente, entre la psyché et la matière. Dans un monde saturé d’images extérieures, Jung nous rappelle l’importance de l’image vivante, celle qui transforme et guérit.

« Laisser advenir ce qui veut surgir » — voilà, peut-être, l’essence de la psychologie jungienne : oser écouter ce qui cherche à naître en nous, et lui donner forme, pour devenir un peu plus entiers.

Sources

• Jung, C. G. (2009). Le Livre Rouge (Liber Novus). L’Iconoclaste.

• Jung, C. G. (1954). Psychologie et alchimie. Buchet/Chastel.

• Jung, C. G. (1951). Aïon. Études sur la phénoménologie du Soi. Buchet/Chastel.

• von Franz, M.-L. (1997). Psychothérapie : l’expérience du praticien. Buchet/Chastel.

• Hannah, B. (1971). Active Imagination: Encounters with the Soul. Inner City Books.

• Shamdasani, S. (2009). Introduction au Livre Rouge.